LA SPIRITUALITÉ : QU’UNE AFFAIRE D’INVISIBLE ?
Il va à l’essor que le milieu de la spiritualité a pris depuis quelques années, plus d’une décennie même, de faire tendre les pratiques dont elle est est créatrice vers le domaine de que nous appellerons ici l’invisible, d’agir alors sur cette dimension qui nous échappe, ou plutôt échapperait, au commun des mortels.
Il est un drôle de paradoxe que le monde soit empreint d’un matérialisme exponentiel sous l’écrasante loi du marché et qu’à côté de cela, un nombre non négligeable d’individus s’en détournent afin d’aller sur les voies dites spirituelles, qu’il s’agisse par exemple d’activités sportives (yoga, tai-chi-chuan…), de soins physiques (magnétisme, énergétique…) ou encore bien d’autres pratiques diverses (médium, reiki…).
Par ailleurs, les puristes de la spiritualité pourraient me reprocher d’avoir même utilisé le terme « d’individus », certainement trop à tendance sociale dans ce contexte, lui préférant celui « d’âmes » tant ils basent les fondations de leur pensée sur cette « partie » de nous qui n’est pas palpable, tangible, discernable, du moins à l’œil nu et non aguerri.
Il convient à mon sens de ne point mélanger tous les termes, et étant somme toute cartésien et philosophe, chaque mot diffère de l’autre pour une raison et par conséquent son étymologie, son sens et sa signification également.
Tout d’abord selon moi, la confusion entre spiritualité et développement personnel est regrettable, beaucoup se prétendent être dans une forme de spiritualité sous prétexte qu’ils tiennent quelques ressentis par-ci par-là, qu’ils tirent les cartes ou bien encore parlent aux anges, or en creusant un peu, nous nous rendons compte de manière objective, qu’il s’agit la plupart du temps que d’une auto-persuasion afin de se distinguer d’autrui, se sentir différent de « la masse », puisque cette masse n’y est pas sensible, déconnectée, et est selon leur vocable « endormie ». Dans tout chemin spirituel il y a la nécessité absolue à débuter en amont un parcours de développement personnel, qui ne l’entend pas de cette oreille empruntera pour sûr de fausses routes.
Profitons-en d’ailleurs pour revenir sur le terme « éveil » qui parcoure les bouches de tous à la vitesse d’un cheval au galop dès qu’un pied semble mis dans la spiritualité. Mais encore une fois, l’éveil serait-il réduit à une pauvre perception différée de notre réalité et donc finalement qu’à une divergence d’opinions… Déceler les ressorts difficilement notables, ceux des Hommes, de leurs énergies, n’en fait pas un gage de savoir subtil, encore faut-il le comprendre, le maîtriser, respecter que l’autre n’en soit pas pourvu sans l’accuser d’une faiblesse ou pire d’une tare. C’est ici trop souvent que le bât blesse, l’actualité sanitaire par exemple ou les conflits sociétaux ne viennent que trop bien nous le prouver.
La spiritualité, semblant n’être vouée qu’à un petit groupe de personnes, sortes d’élus sous une figure biblique qui ne me sied guère, en devient risible puisque tout d’abord abstraite dans ses faits et dires, et surtout délaissant naïvement l’importance de la substance.
En relisant les œuvres de Jung par exemple, véritable référence sur le sujet, nous comprenons bien que jamais ô grand jamais la spiritualité n’est envisagée uniquement sur le pan de l’invisible bien que celui-ci y soit extrêmement présent. De même, l’énergétique y règne en roi et pourtant, nulle abstraction dans des mondes parallèles ou dans les certitudes d’une programmation de l’existence. A quoi sert donc la vie si tout est pré-destiné, que le libre-arbitre n’est plus qu’un vague concept et qu’il suffise donc de s’en remettre à je ne sais quelle force divine ou à cet Univers que tous décrivent comme un grand Tout qui tire les ficelles et impose le tempo. Ne serions-nous donc que des marionnettes sur la scène, balbutiés entre l’envie d’en savoir toujours plus et l’intense désir de laisser-aller la réalisation du futur heureusement immaîtrisable.
Le conditionnement, non dans sa forme éducative ou Pavlovienne mais plutôt ésotérique frôle bien souvent il faut le dire avec les extrêmes et donc vers la dangerosité. Car comme tout est concrètement invérifiable ou très peu, c’est la porte ouverte à tous les possibles et donc toutes les déviances, charlatanisme y compris.
Si tout était invisible nous ne serions que des fantômes, sans chair, sans sang, sans cœur, dans la désolation spectrale, les flux neuronaux ne seraient pas, nous ne pourrions pas même mettre un pied devant l’autre, nous ne pourrions de fait décider de rien. En omettant le moment présent, ici et maintenant (cf. E.Tolle), en oubliant que nous avons des configurations anatomiques et matérielles, la spiritualité n’est qu’absurde. Comment prôner l’ultra-conscience si nous n’allons pas découvrir, décortiquer toutes les strates du Moi : sa génétique, son éducation, son transgénérationnel, son inné, son acquis, sans partir dans les illusions faciles et le confort qu’apporte la pseudo-spiritualité.
La spiritualité est devenue une contradiction, une contrefaçon, un refuge pour celui qui pense voir et pourtant refuse de d’appréhender l’essentialité de son être. Ainsi, beaucoup préfèrent chercher les réponses vers l’extérieur, dans l’abstrait et le non-conventionnel plutôt que d’aller se soumettre à l’effroi que puissent parfois engendrer le corps et les méandres du cerveau. Une majorité de ceux-là ne sont pas prêts basiquement à recevoir les divergences de croyance et de foi des interlocuteurs adverses, les renvoyant fatalement à leur ego duquel ils pensent être détachés. Mais dans la fausseté, la duperie n’est que façade et ce jugement qu’ils haïssent tant les représente si bien et les façonne au-devant le miroir du déni.
De mon humble avis et regard, il n’est de meilleur résumé que de dire qu’il n’est de spiritualité sans la pleine-connaissance de tous les versants de sa présence sur Terre, ainsi donc la matière y tient une place résolument fondamentale et que trop négligée. Se détacher de l’émotionnel entre autre est un manquement fatal à ce qui constitue la nature de l’Homme. Il en est de même pour le « fonctionnement reptilien » qui ne devrait faire l’objet de rejet puisqu’il est le propre de notre race au même titre que l’approche parallèle du subconscient, cela renvoie aux travaux de Freud. Force de constater que l’on ne peut ainsi isoler le visible de l’invisible, que les deux sont intimement reliés afin de parfaire ce que nous sommes.
Pour aller plus loin et conclure, je ne conçois guère, aussi doué de connexions, de visions, d’accession à l’invisible que nous ayons en poche, de valeur à celles-ci sans la considération entière des phénomènes physiologiques et psychiques qui nous sont inhérents. Et, pour sûr il n’est strictement aucune spiritualité sans les simples usages de communication, de déférence, de respect, d’humanité.