FJ : Les quatre saisons & La flûte enchantée

FJ : LES QUATRE SAISONS & LA FLÛTE ENCHANTÉE

 

Le Runner est bel et bien un drôle de personnage, pour ne pas dire drôle de comédien, soliste somme toute sur cette scène, dont les dialogues et monologues ne sont pas sans attirer l’attention de l’audience et plus particulièrement de son autre, les yeux écarquillés par une telle performance, le sourire jusqu’aux oreilles, sachant que ceci est le rôle de sa vie, l’histoire absolue de son cœur.
A la fois aguerri à la critique de ses verbes et gestes, sensible au moindre faux-pas et prêt à en déceler les infimes subtilités, le récit n’est pas sans controverses, loin de là, ce n’est ni une ballade irlandaise ni un conte de fées, il ressemble bien souvent à une tragédie grecque, à l’apologie du désespoir shakespearien, à l’enfer de Dante.
Et que dire du parcours en lui-même, vaudeville théâtral et symphonique, dont le Chaser est pour sûr dramaturge, acculé sur les planches de son bureau à décortiquer les trames infernales de cette histoire bringuebalante, saignant à l’encre bleue afin de comprendre les rouages d’un mécanisme qui lui échappe totalement, du moins pendant un temps.
Le Runner est certainement un acteur dont la prestation s’avère complexe, parfois imprévisible et imperceptible, lassante peut-être, abstraite sans doute et pourtant jamais imparfaite.
Dans cette « danse » comme on l’aime à l’appeler, j’aime y voir vous le savez, des métaphores et références artistiques, ainsi m’est venue en tête cette œuvre des Quatre saisons de Vivaldi, subtilement mêlée à celle de Mozart, qui je trouve à elles deux, reflètent à la fois les différents actes mais aussi la psychologie de notre ami Runner. Parce que oui et je ne vais rien vous apprendre en disant qu’avec ce cher énergumène, nous passons un petit peu par toutes les états…

 

ACTE I : PRINTEMPS

 

Au début est une rencontre, la plus perturbante soit-elle, inexplicable, indéfinissable, tout en nous bourgeonne, le souffle se fait court, il y règne un climat étrange, une sensation connue autant que déstabilisante. C’est un phénomène « aimanté » où tout s’attire et se rejette à la fois, l’air s’y fait chaud autant que froid, rien ne semble réel, pourtant tout est dans la matière parfaitement vrai et, suspendu déjà à l’attente que cela dure, les heures font hélas des secondes.
Pour celles et ceux qui ont eu la joie de parcourir ces moment dans une interaction physique et non uniquement à distance, tous vous narreront plus ou moins les mêmes détails et, conscients que cela n’est guère commun et dans l’habitus, c’est dans l’inconscience que nait sans le savoir, la plus dure des épreuves…
Le Runner harponne de par sa simple présence son Chaser, celui-ci se voit prince charmant, son statut de roi sauveur enfin mis au grand jour. Il lui en faut si peu qu’il plonge dans le grand bain sans tester la température de l’eau, elle est brulante, il ne le saura que bien plus tard.
Le Runner n’est pas un innocent, il sait qu’il maitrise déjà son autre, c’est lui qui tire les ficelles, tient les cartes et décide quand les abattre ou les restreindre, c’est un fin stratège et, quoi qu’en disent les soi-disant spécialistes du genre, il est le contrôlant. Et dans l’inébranlable certitude du Chaser, peu importe donc la ou les manières, il fera tout, trop, pour ressentir à nouveau ce qui l’a habité à cet instant précis. Et même si le Runner fut silencieux ou bien à ce point distant, en ce jour, tous ont vu les prés fleurir et le ciel s’ouvrir par endroit.

 

ACTE II : ÉTÉ

 

Une nouvelle fois, pour celles et ceux qui se sont délectés du nectar d’avoir une « relation  de couple » ou bien d’avoir partagés la vie de leur autre, l’expression de « lune de miel » leur vient souvent à la bouche. C’est en cette période que le soleil est au zénith, que tout resplendit, que les peurs les plus ancestrales sont soudainement enfouies et qu’une toute-puissance n’a d’égale que la hauteur d’un Amour nouveau, aérien et fragile.
C’est peut-être ici que la complémentarité se matérialise au mieux, les qualités de l’un gomment les défauts de l’autre et vice-versa, tout parait imbriqué, solide, les fondations se construisent comme dans tout couple à la fois avec légèreté et gravité. C’est un puzzle qui semble avoir trouvé ses deux assemblages parfaits. Il est comme une envie conjointe, une évidence que les deux verbalisent par ailleurs comme telle.
L’horizon semble dégagé, sans nul qui ne puisse venir briser la force d’un tel lien. Rien ici ne laisse suggérer une possible bascule et pourtant, il est comme un sentiment étrange, une incompréhension. La ferveur de l’été, dans toute sa splendeur, vient à faire douter ce désir qui a attendu toute sa vie un tel dessein, un tel destin.
Mais force de constater que le Chaser, psychiatre à ses heures perdues, nourrit son aveuglement par l’auto-persuasion que le comportement adverse soit « normal » puisque « divin ». Aucune normalité là-dedans, que les prouesses émergentes et déviantes de deux individus qui se sont trouvés et qui tôt ou tard vont les amener à se déchirer…

 

ACTE III : AUTOMNE

 

Le Chaser donne tout sans compter, le Runner donne peu avec méfiance,  l’un est dans une posture sacrificielle, l’autre dans le victimaire, et plus l’un amplifie sa manière de faire et d’être, plus le fossé s’élargit dans un déni qui avec le recul, semble parfois dénué de tout sens.  Aucun des deux n’est dans cet amour inconditionnel que l’on nous vend comme marchandise sémantique. C’est bel et bien dans l’entre-deux que se dessinent des conditions…
C’est ici que le comportement du Runner tourne au pathos. Ses reculs sont glaciaux, sa fuite inéluctable. Le Chaser quant à lui, tentant de s’accrocher aux branches cassantes et déjà chues de l’arbre, ne mesurera l’éboulis qu’une fois à terre. Son argumentaire, sa persuasion ou autres méthodes n’y feront rien, il est déjà trop tard. La bête s’est réveillée dans le Runner, il n’est plus qu’un animal sauvage, convaincu d’être une proie dont son Chaser tient le fusil.
Dans des discours parfois à la limite du tolérable, nous assisterons à la mort de la belle saison, les feuilles se ramassent à la pelle et, sachant pertinemment tout en le refusant, qu’il n’est aucune issue positive pour le Chaser, plus celui-ci ira se suspendre à la clémence de son Runner, plus il se passera la corde au cou.
La brise suave et délicate qui a soufflé ce jour de printemps n’est plus qu’un vulgaire souvenir, écrasé par le mensonge infâme du Runner, pulvérisé par la bêtise même du Chaser à penser qu’il puisse être encore rédempteur tandis qu’il est devenu aux yeux de l’autre, oppresseur…
C’est un typhon qui s’abat au firmament avec pour seules conciliations l’ambiguïté totale du Runner qui, pseudo-conscient de ses actes derrière les barreaux de sa prison mentale, ne fait que les retourner perversement sur son autre, preuve manifeste qu’il est bel et bien, perdu au milieu d’un champ en friches.

 

ACTE IV : HIVER

 

Le ciel s’obscurcit et la nuit est maîtresse. Pour les pires d’entre nous dont je fais partie, les mots se sont figés et le lac s’est totalement recouvert d’une dure couche de glace. Il n’est plus rien que le silence dans la lenteur souvent abusive de la séparation et quoi qu’en disent encore une fois les « prophètes de la spiritualité », il a neigé sur l’existence…
C’est à cette saison qu’apparaissent les avis et opinions de tous sur la question et qui semblent se canaliser à l’unanimité sur la révélation d’un leurre, d’une manipulation perverse et narcissique. Peut-on leur en vouloir de tendre vers cette pensée ? Certainement pas… Fait est que tout y ressemble, d’autant plus lorsque le Runner, dans toute son inhumanité, vient enfoncer son Chaser tête sous l’eau en allant nager vers d’autres relations, la plupart du temps compensatoires, hybrides et malsaines, faisant immerger une blessure terrible de trahison en la poitrine.
Toute la beauté de jadis est entièrement gangrénée et c’est sous un manteau épais comme le frimas que le Chaser va apprendre petit à petit à se relever et que le Runner, toujours plus dans la mystification de lui-même, ira à se noyer dans des mers gelées de sa psyché assurément maladive, jusqu’à ce qu’il comprenne l’essence même de ce lien, sa vérité intérieure.
Il est une lueur d’espoir lorsque, souvent par le plus curieux des hasards, le concept flammes jumelles nous est mis sur le chemin à nous Chaser, et c’est donc par le fait d’un nouveau cycle de saisons que tout viendra à se taire, rideau et clap de fin sur une souffrance qui n’aurait jamais dû être, factuellement plus que de l’incapacité à se respecter, lorsque l’autre nous méprise et désestime.

 

CONCLUSION :

 

Au sein de ce spectacle, granguignolesque parfois et absurde, qui tient la bonne place et d’ailleurs en est-il une ? Au jeu des instruments, chaises musicales de rigueur, le Chaser est un barde lyre à la main, chantant corps et âme son ode sous le balcon de sa promise, le Runner tient le flutiau, souvent ses notes sonnent faux, son tempo est hasardeux et son rythme à contretemps. Les deux abordent une grille mélodique initiale partagée, puis c’est une désynchronisation progressive, jusqu’à la cacophonie ambiante, toute interaction n’est plus que dissonance et opposition stylistique, laissant en héritage une piste inachevée, triste et orpheline.
Dans cette aventure mirifique, fâcheuse et ubuesque, l’un se tord les tripes, l’autre ferme son cœur, l’un mentalise, l’autre démentalise, l’un se résout à avaler la ciguë, l’autre en est le porteur… Et jusqu’à ce que les violons ne soient accordés, il n’est ni de Roméo ni de Juliette qui vaillent la peine d’être réunis pour vivre cet amour…

 

Zøwie
Author: Zøwie

2 thoughts on “FJ : Les quatre saisons & La flûte enchantée

  1. Merci et bravo pour cette magnifique perspective par l’art, avec des mots si justes qu’ils m’ont prise à la gorge…

  2. Vraiment époustouflant ! J’en suis encore émue. Merci pour ce magnifique partage qui résume avec beaucoup d’émotion et de vérité ce parcours.

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