J’aurais dû

J’AURAIS DÛ

 

J’aurais dû sans doute être païen et ne voir les offrandes

Au mur des lamentations pleurer chaudes larmes et rendre

Des comptes aux créanciers, parce qu’en cette vie disons

Tout n’est qu’affaire de matériel, de fauteuils en prison

 

J’aurais dû changer l’angle pour ne sortir donc de la route

De ces virages où le verglas se mêle en ennemi insidieux

Si j’avais un cœur de pierre, ne point écouter les doutes

Les laisser en capitons et qu’ils ne viennent alors aux yeux

 

J’aurais dû écouter père et mère puisque de leur existence

Tout va au large s’évanouir et rien ne sert deçà les rêveries

Pas même dans l’escarcelle d’un petit songe à contresens

Faire sa révolution quitte à perdre combat et payer le prix

 

J’aurais dû laisser les blessures s’épancher d’un sang mauve

Et ramper las sur le sol d’une terre où les Hommes courent

A leur gloire autant qu’à leur perte, noyés dans les alcôves

Si tout est affaire de défiance et tristement point d’amour

 

J’aurais dû arborer les plus beaux costumes dans une ville

Et attendre paisiblement le trépas en mon foyer communal

Sans émotion aucune, que le battement incertain des cils

Et ne pas flancher devant la beauté des aurores boréales

 

J’aurais dû ne point naître en ces atmosphères fragiles

Au milieu d’une plaine où les soldats mutilés chamaillent

Si comme autrui d’assurance naturelle il était si facile

De combiner subtilité d’une plume et champ de bataille

 

J’aurais dû me taire puisque la parole vient à mentir

Et le silence en compagnon me fait les cheveux blancs

Dans la sagesse d’une nuit où ils dorment ainsi mourir

Rayer mon nom dans la faveur manifeste d’un trait criant

 

J’aurais dû dans un souffle comprendre le sens du vent

Briser les girouettes et leurs moqueries persistantes

Dans la rapidité abjecte des saisons n’être plus que lent

Gracier les chemins de leur obligeance, mesurer la pente

 

J’aurais dû, dans le ventre de la peur être brave et fier

A la moindre flamme, celle d’une femme sous parfum

Avoir l’armure en toute circonstance, ne brûlant ma chair

Pour l’esquisse d’un baiser et l’entièreté d’un dessin

 

J’aurais dû laisser quelque part en été le baluchon

Et ne me retourner sur les éclaircies et tempêtes

Faire preuve d’absence dure et dingue, non de raison

Quitter la scène de dos, ramasser les cotillons de la fête

 

J’aurais dû oublier les visages et n’écrire ces mémoires

Puisque qu’il n’est de place pour le poète en ce bas-monde

Aspirer encore et toujours, à des contrées où je pars

Sur la trace de ma personne, sur une planète moins ronde

 

J’aurais dû, troquer mon âme pour quelques sous

Puisque nul ne saisit ses attraits insatiables et feuillus

Saisir l’arme, boire le poison ou me passer la corde au cou

Car en leur bouche si aisé est ce jugement : « s’il avait pu »

 

Zøwie. Auto-portrait. 2020. Poésie n°69.

Author: Zøwie

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