LE RÊVE DE ZØWIE
Pendant que les fenêtres du train déroulaient
Le lent retour vers les terres qui m’ont vu naître
Soudain en mon esprit je ne me tins plus prêt
A affronter les jours suivants quitte à n’y paraître
Faible, malade ou encore autant de qualificatifs
Qui vinrent sans doute aux lèvres des pontifes
Une pointe me prit toute le visage pour des mois
Que les souvenirs pour résister à cette tentation
De périr avant l’âge promis, hier encore j’étais roi
Seul maître à bord et libre de toute hésitation
Et j’enviais tellement ceux dépourvus de ressentis
Qu’impossible était un quelconque sens de vie
Des pavillons en lotissement aux cabanes dans les bois
Il n’y eut point de lieu pour douce détente
Car que l’on combatte ou s’endorme ivre les tracas
Toujours tintent au réveil d’une humeur absente
Et les yeux rougissent, et les veines bleuissent
Et les meubles patinent et les toiles se tissent
Un rêve me traînait pourtant telle une sacoche
Que l’on porte au collège, faculté puis vie active
Quelques arbres aux frontières d’un hameau proche
Des arbres en bordures, un chien et nulle âme qui vive
Des fruits du jardin, du pain au four et la pendule
A jamais arrêtée à l’heure du bel crépuscule
J’ouvrirai une par une les bouteilles de spiritueux
Mélangeant à la sève de mes doigts les maints désirs
Dans un lit en peaux de bête, couvrant l’hiver rigoureux
M’en allant aux alpages pour les baies à cueillir
Couper les bûches sous une neige des plus rudes
Manger à ma faim, laissant derrière moi le vent du sud
Enfin, mes cheveux seront blancs et mes mains amollies
Mirant par les hublots, non d’un train cette-fois
Cette vie qui part et ces souvenirs toujours endormis
D’un jeune homme d’antan si simple à la petite voix
Puis, au seuil de la vieillesse, j’implorerai encore
Recouvrir mes pas avant que m’emporte la mort
Zøwie. Ailleurs ou le refus du néant. 2017. Poésie n°66.